(générique de la série de Granada) Liane Hansen: Vous écoutez Weekend Edition, je suis Liane Hansen. (générique de la série de Granada)
Liane Hansen: Quand Granada Television proposa pour la première fois à Jeremy Brett d’interpréter Sherlock Holmes, l’acteur britannique n'était pas particulièrement enthousiaste.
Jeremy Brett : Je me souviens, je revenais de dîner en voiture... quand on m’a demandé,… et je… j’étais venu avec mon fils David. Et il m’a dit : "Papa, tu ne vas pas le faire, hein ? ", et j’ai dit : "Non, non vraiment pas. Je pense que cela a été fait. Je pense que cela a été traité tant de fois et pour moi ce n'est qu'une plaisanterie rebattue. Je ne sais pas... je ne vois pas l'intérêt d'essayer d'en faire plus. "
Liane Hansen: Jeremy Brett ne pensait pas avoir l'étoffe pour jouer le célèbre détective de Sir Arthur Conan Doyle. À l’époque, il jouait les héros romantiques de Shakespeare et faisait la cour à Audrey Hepburn dans le rôle de Freddie, dans le film My Fair Lady. En outre, Sherlock Holmes avait été incarné par certains des plus grands acteurs du siècle, William Gillette, Eille Norwood, Arthur Wontner, et bien sûr, Basil Rathbone. Une concurrence intimidante. Mais Jeremy Brett changea finalement d’avis, et il tourne actuellement sa sixième série dans le rôle de Holmes. "Les Archives de Sherlock Holmes" ont été diffusées pour la première fois cette semaine sur les chaînes de PBS, dans tout le pays, dans le cadre de la série Mystery ! Ce qui a provoqué ce changement, c'est la relecture de l'intégrale du Canon par Brett. Les cinquante-quatre nouvelles et quatre romans écrits par Doyle sur Sherlock Holmes.
Jeremy Brett: Et j'ai découvert toutes sortes de choses que je pouvais faire si j'en avais l'occasion. Alors j'ai dit "oui !", avec une témérité extraordinaire, une certaine appréhension et une part d’excitation. Nous avons abordé les sénarios. J'ai dit: "Mais vous m'avez demandé d’interpréter le Sherlock Holmes de Sir Arthur Conan Doyle... il ne s'agit pas du Sherlock Holmes - des histoires de Doyle. Je veux dire que les adaptateurs étaient allés si loin. Et le scénariste a dit : "Jeremy, tu es là pour jouer; alors vas-y, et c’est tout. " Et j’ai renversé la table et ma sole a atterri sur ses genoux.
Liane Hansen rit.
Jeremy Brett: Et c’est là que les frictions ont commencé. J’avais l’habitude d’emporter avec moi tout le Canon, à chaque... au début de chaque tournage, et de me battre pour Doyle. Au bout d’un an et demi environ, j’ai dit : "Écoutez, si vous ne vous décidez pas à faire un peu attention à moi, je peux me désengager", car c’était une telle lutte. Mais c’est là que les Studios Granada sont intervenus, et ont été vraiment remarquables et merveilleux, ils m’ont accordé deux semaines de répétition au lieu d’une seule. Ainsi, la première semaine, je pouvais me battre pour Doyle, et la seconde semaine, je pouvais travailler avec mes partenaires. Et depuis, ça marche essentiellement comme ça.
Liane Hansen: Une des choses que vous semblez faire, contrairement aux autres acteurs qui ont interprété ce rôle, c’est de faire ressortir les aspects moins sympathiques du personnage. Même chez Basil Rathbone, vous aviez l’impression qu'il y avait -
Jeremy Brett: … Eh bien, Basil Rathbone est avant tout mon Sherlock Holmes.
Liane Hansen: Vraiment ?
Jeremy Brett: Oui. Parce que c’est lui que j’ai vu pour la première fois, et évidemment, je ne peux pas me voir, donc il est mon Sherlock Holmes.
Liane Hansen: Mais est-ce que vous essayez d’imiter ce qu’il fait ou alors de l’éviter, afin de créer votre propre personnage ? Vous voulez vraiment en faire le vôtre.
Jeremy Brett: Eh bien, nous sommes - quelques uns en Angleterre - nous sommes ce que nous appelons des 'becomers'. En d’autres termes, vous devenez la personne que vous jouez. Un peu comme Stanislavski. Pas… selon la Méthode, parce que sa Méthode est légèrement différente, mais vous devenez la créature, la personne que vous jouez. En d’autres termes, si je suis une éponge; vous extrayez votre propre substance et absorbez le fluide de la créature ou de la personne que vous jouez. Et j’ai donc dû essayer et lui donner vie. J’ai fait des erreurs épouvantables. Ce rôle ne me convient pas du tout, je suis un acteur romantico-héroïque. J'étais donc très conscient du fait qu’il me fallait cacher une sacrée part de moi-même, et ce faisant, je crois que j’ai assez souvent l’air brusque, ou peut-être même parfois légèrement impoli. En fait, Dame Jean Conan Doyle, la fille de Doyle, qui est une de mes grandes amies, m’a dit une fois : "Je ne pense pas que mon père se représentait Qui-Vous-Savez comme quelqu’un de si impoli. " et j’ai répondu : "Je suis absolument navré, Dame Jean, j’essaye simplement de me cacher". Elle m’a vraiment dit une chose magnifique quand j’ai fait la pièce, en 1988, destinée en vérité à célébrer l’anniversaire de Qui-Vous-Savez - il a cent ans, ha-ha… C’est vraiment extraordinaire de fêter l’anniversaire d’un homme qui n’a jamais existé.
Jeremy Brett: Et, euh, elle est vraiment venue voir la pièce, et elle m’a écrit une lettre adorable dans laquelle elle disait : "Vous êtes le Holmes de mon enfance ". Et c’est pour moi la consécration suprême.
(extrait du Mystère de l’Anthropoïde)
Liane Hansen: Il est décrit comme un personnage émotionnellement froid, mais je pense que l'une des caractéristiques de votre interprétation, c'est d'apporter de la passion dans le rôle. Il ne s'agit pas d'une passion manifeste, mais c'est une passion qui vient, par exemple, lorsque vous jubilez ou que Qui-Vous-Savez jubile après avoir vaincu un adversaire, ou bien un mouvement de colère qui éclate quand les gens ne vous écoutent pas ou ne comprennent pas ce que vous dites. Il y a cette passion sous cette brusquerie et cette impolitesse, je crois que c'est cela qui le rend vrai, la raison pour laquelle votre interprétation a été si...
Jeremy Brett: … Eh bien, je - Ce que je devais faire, je veux dire, nous parlons - je parlais du becoming. Ce que je veux dire par là, c'est une vie intérieure. Watson décrit Qui-Vous-Savez comme un cerveau sans cœur; ce qui est difficile à jouer - difficile à devenir. Donc ce que j'ai fait a été d'inventer une vie intérieure. C’est-à-dire, je sais par exemple comment était sa nourrice; elle était couverte d'amidon. Elle faisait probablement sa toilette, Elle le frottait probablement, mais ne l’a jamais embrassé. Je pense qu’il n’a sans doute pas vu sa mère avant l’âge d'environ huit ans. Peut-être qu’il a distingué les effluves de son parfum et le bruissement de sa robe. Je suppose que l'époque du collège était assez compliquée, parce qu’il était très isolé. Il a sûrement vu une fille - de l’autre côté de la cour - et il est tombé amoureux, mais elle ne l’a jamais regardé... il a donc fermé cette porte. Et il est devenu un escrimeur brillant, bien sûr, comme nous le savons, et il est passé maître dans l’art de la boxe… un brillant athlète… et encore beaucoup de minuscules pe… petits détails que je dois en quelque sorte inventer pour remplir cette espèce de puits de… que Doyle a si habilement laissé de côté, car il a construit cet extraordinaire édifice, et vous - bien sûr, vous allez essayer de - je veux dire - Evidemment il vaut mieux le lire, c'est la vérité; il vaut mieux lire les œuvres de Doyle. Si vous êtes assez téméraire pour essayer de lui donner vie par les arts visuels… c'est même mieux à la radio ! Je préfèrerais l’écouter plutôt que de le voir. Voir est restrictif, vous savez.
Liane Hansen: Pourtant, vous développez un langage corporel pour lui, c’est-à-dire, dès qu’il réfléchit il fait une pyramide avec ses doigts et les dresse en face de son visage, et il… il fait des gestes de main plutôt excentriques.
Jeremy Brett: Tout vient de Doyle.
Liane Hansen: Tout vient de Doyle.
Jeremy Brett: C'est Doyle. Je n’arrivais pas à le croire, voyez-vous; tout y est. Il dit - un passage m’a vraiment déconcerté... il dit : "Holmes s’agite sur son siège et rit à gorge déployée" … Vous voyez, je n’aurais même jamais imaginé Holmes en train de rire.
Liane Hansen: Hum.
JB : J’ai donc dû entamer un extraordinaire voyage de découverte, et tout est là ! Chez Doyle. Et ce qui est extraordinaire, à mon avis, c’est que personne n’a jamais fait Doyle auparavant, et je trouve ça très déconcertant !
(extrait du Mystère de l’Anthropoïde)
Liane Hansen: Au fil de la production de ces séries et de leur tournage, vous a-t-il été difficile de changer de Watson en milieu de parcours ?
Jeremy Brett: Eh bien, ça a été dévastateur. Mon cher David Burke est venu me voir, et m’a dit : "Je… s’il te plaît, je dois rentrer chez moi, mon fils Tom a deux ans et je dois être avec lui pendant qu’il grandit." Et j’ai dit : "Bien sûr ! Je comprends parfaitement." Et, euh, il est donc retourné avec Anna, son adorable épouse, et le petit Tom. Et je me tenais là et agitais la main en signe d'adieu dans la gare de Manchester, où sont situés les studios en Angleterre, et j’ai pensé : "Qu’est-ce que je vais devenir, maintenant ? J’ai perdu un Watson. Mon meilleur ami. " Enfin, l’un de mes meilleurs amis; David Burke. Et, euh, c’était sa femme Anna qui a dit : "Il y a un homme dont l’état d’esprit est assez proche du tien, David." Et Edward est arrivé, avec qui j’avais bien sûr travaillé au National Theatre. A propos, c’est le fils de Sir Cedric Hardwicke.
Liane Hansen: Mais en jouant avec, euh, Edward Hardwicke; avez-vous dû construire une nouvelle relation ou a-t-il simplement... a-t-il été alors capable de revêtir la cape de Watson aussi bien que Sherlock…
Jeremy Brett: Eh bien, Edward est un homme très, vraiment très remarquable. Une - probablement la plus aimable - une des personnes les plus aimables que j’aie jamais rencontrée dans ma vie. Et… il voulait s'adapter. Alors, il a regardé les treize films précédents… Résolu à essayer de ressembler un peu à David Burke, autant qu’il le pouvait, béni soit-il. Alors, il a mis une moumoute, je veux dire, une perruque, et, euh… des talonnettes dans ses chaussures. Et le premier film tourné ensemble était Le Manoir de L’Abbaye. Et nous courrions à travers un champ, (JB glousse) e il (continue en riant), il, bien sûr qu’il… ces talons étaient trop hauts, alors il n’arrêtait pas de glisser et de déraper. Et j’ai dit : "Oh, Edward, enlevez-les! Je vais plier les genoux pendant le reste du film!"
Liane Hansen rit.
Jeremy Brett: Et c’est comme ça que nous nous sommes adaptés et soudés.
Liane Hansen: Oh. . . Vous avez vécu une tragédie personnelle, entre les saisons; votre femme est morte.
Jeremy Brett: Joanie.
Liane Hansen: Joanie. Si je ne me trom…
Jeremy Brett: … Oui, eh bien, Joanie, euh… En fait, la raison pour laquelle j'ai fait Aren’t We All ?, c’était pour être avec elle. (il bégaie) J’ai su à la fin du Dernier Problème en 1984 qu’elle avait un cancer, et les lumières se sont vraiment éteintes dans ma vie. Et, euh… je ne voulais plus le faire. Je n’en voyais plus l’intérêt, et … Nous allions faire tout le traitement en Angleterre, et puis nous avons décidé de le faire à Boston parce qu’elle … elle travaille pour W… W…travaillait pour WGBH. Vous savez, elle a créé Mystery !
Liane Hansen: Je ne le savais pas !
Jeremy Brett: Si ! Elle a créé Classic Theatre. Et, euh, bref… Je l’ai perdue le 4 juillet 1985. Et la pièce terminée, je suis rentré en Angleterre, elle a duré jusqu’au 23, je ne sais pas comment j’ai assuré ces représentations… et, euh, j’ai dit au revoir aux enfants. Et mon contrat reprenait le 3 septembre de cette même année. Et on m’a dit : "Eh bien, Jerermy, ça t'aidera peut-être si tu te remets en selle ". Utilisez-vous cette expression ? En d’autres termes, si vous vous remettez en selle…
Liane Hansen: Se remettre le pied à l'étrier.
Jeremy Brett: Oui, c’est ça.
Liane Hansen: Même expression.
Jeremy Brett: Et, euh, j’ai tourné les cinq films suivants avec la plus effroyable mauvaise grâce, j'en ai peur. C’est-à-dire, je ne voulais simplement pas les faire. Et puis j’ai eu une d… d… - ce que tout le monde sait maintenant parce que le TV Guide l’a publié par ici - j’ai eu, euh, une grave dépression. Et quand j’en suis sorti, entièrement grâce à mon fils chéri, David, qui a été pour moi un ami courageux dans cette épreuve… euh, je me suis remis en selle ! (il glousse) Et je… je me rappelle avoir dit : "Si je peux arriver à Manchester, ça ira ". Et puis j’ai fait Le Signe des Quatre et j’ai commencé à me sentir mieux, et ensuite, j’ai commencé à mieux apprécier Holmes, et je n’étais plus aussi fâ… - ça y est, je l’ai nommé - je n’étais plus aussi fâché contre lui. Euh… parce que je lui en voulais un peu.
Liane Hansen: Vous lui en vouliez ?
Jeremy Brett: C’est-à-dire qu'il - Je travaillais si loin de Joan, vous voyez, et il m’a pris t… tant de nos dernières… ce que nous… ce que j'ai réalisé être nos rares dernières années. Et, euh, je commence… Vous savez, le temps guérit toutes les blessures. Et, euh, et maintenant… En fait, Caleb, mon aîné, euh, qui me reste de Joan, dit qu’il ne m’a pas vu en si bonne forme depuis des années. Je l’ai vu à… il y a trois semaines, en Californie. Alors doucement, doucement, tout doucement. Vous ne vous remettez jamais d’une telle perte. Vous vous y habituez, mais vous ne vous en remettez jamais.
Liane Hansen: Vous avez tourné trente-quatre heures d’après les livres de Doyle ?
Jeremy Brett: J’ai tourné trente-quatre films. Je n’arrive pas à m’en souvenir, il y a deux… il y a trois films de deux heures que je viens tout juste de terminer, il y a trois semaines, un film de deux heures, et deux autres; Le Signe des Quatre et l’ Étude en R… non, pas l’Étude en Rouge - Le Chien des Baskerville. Et le reste, c’est des films d’une heure.
Liane Hansen: Mm-hmm. Combien d’histoires reste-t-il ? C’est-à-dire...
Jeremy Brett: Eh bien, je vais compléter le Canon. Grâce à Peter Speiner et aux Studios Granada.
Liane Hansen: Tout le Canon ! Et après ? Je veux dire qu'alors serez-vous capable de le laisser derrière vous.
Jeremy Brett: Eh bien, cela ne me dérange pas maintenant, c’est-à-dire… Euh, il fut un temps où les gens disaient : "Dans quelle mesure appréciez-vous de jouer Holmes ? ", et je disais : "Je ne traverserais pas la rue pour le rencontrer ". Ensuite, j’ai découvert que, bien sûr, enfin je voulais dire qu'il ne traverserait pas la rue pour me rencontrer. Puis quand j’ai joué la pièce, qui m’a beaucoup appris, parce que j’étais en contact avec les gens - parce qu'on est très isolé en tournage, et je me suis rendu compte du nombre d’enfants qui venaient le voir et de la façon… quel héros il était pour eux. J’ai pensé : "Oh, ça alors, je ne l’aurais jamais cru ", alors je me suis dit, "Mon Dieu, j’ai cette joie, de le faire pour des enfants". Et je crois savoir pourquoi les enfants l’adorent, c’est parce que Sir Arthur Conan Doyle a doté Holmes de toutes les sensibilités d’un enfant… jusqu'à l'âge de huit ans. Alors, à huit ans, bien sûr, on vous dit de ne pas regarder par la fenêtre, euh, de progresser dans votre syntaxe latine, et on commence à anéantir ces sens supérieurs. Holmes les possède.
Liane Hansen: Pensez-vous avoir appris quelque chose sur les pouvoirs d’observation qu’il possède, et dont vous avez besoin dans votre propre art pour devenir ces, heu, les personnages que vous jouez ?
Jeremy Brett: Non.
Liane Hansen: Non.
Jeremy Brett: Non. L’autre jour, quelqu’un m’a demandé... si je rêve de lui. Et heureusement, non.
Liane Hansen: Vous ne voulez pas rapporter votre travail à la maison.
Jeremy Brett: Non, c'est un miracle n'est-ce pas ? Non. Mes rêves sont... Je rêve toujours de mon petit chien; Mr. Binks. Mon compagnon. En fait, je l’appelle mon chien des cieux.
Liane Hansen: Oh.
Jeremy Brett: Il est mort il y a 16 ans. Donc, si quelqu’un s’approche de trop près, par exemple Qui-Vous-Savez… Ouaf !
Ouaf ! (rires) - Non, il ne vient jamais. Heureusement. Et bon Dieu, ça suffit la journée !
Liane Hansen: On peut voir Les Archives de Sherlock Holmes pendant les cinq prochaines semaines, dans le cadre de la série de PBS, Mystery!