La tension de ce long tournage  a commencé à se faire sentir vers la fin. C'était le jour du départ de Nancy (Elizabeth Garvie) et nous filmions le trajet en calèche jusqu'à la gare. "Pony va bien !" Je pensais un peu trop bien - étant donné qu'Edward / Jeremy la conduisait et non le cocher !
 
Le réalisateur voulait nous filmer en train de rouler sur le pont cabossé du chemin de fer pendant notre trajet jusqu'au parvis de la gare. Certainement que la prise aurait été bouleversante, mais je ne pouvais m'empêcher d'imaginer le cheval fringant s'emballer dans la descente abrupte et Jeremy ne pouvant pas le maitriser.
 
Les souvenirs d'un accident presque fatal à Cornwall, lors du tournage de la série Poldark de la BBC, me revinrent à l'esprit. La calèche dans laquelle je me trouvais, s'est retournée sur un rocher sur Bodmin Moor et le caméraman, qui était attaché sur le côté, a eu la chance de s'en tirer avec une jambe cassée. J'étais sous le choc et je ne pouvais plus parler pendant trois heures sans fondre en larmes.
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The Making of the Film : The Good Soldier
May 25, 2015 by Robin Ellis
 
Lien : https://robin-ellis.net/2015/05/25/the-making-of-the-film-the-good-soldier/
 
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C’est le 100e anniversaire de la publication du roman de Ford Madox Ford paru avant la Première Guerre mondiale, The Good Soldier, un livre fondateur du XXe siècle. Il commence par cette phrase : "C'est l'histoire la plus triste que j'ai jamais entendue", - racontée par le narrateur, John Dowell - mon personnage, dans l'adaptation de Granada TV en 1980. C'était très émouvant pour moi de revenir sur mes pas, 30 ans plus tard, depuis la fontaine de Bad Nauheim, où Roger Hammond qui jouait le Grand-Duc, me salua jadis : "Bonjour, M. Dowell !".
Jusqu'à ce que le réalisateur, Kevin Billington, m'envoie le scénario, je ne connaissais pas The Good Soldier. Plus tard, j'ai regretté que mon premier contact avec l'histoire se fasse par le scénario plutôt que par le roman lui-même - manquant ainsi l'angle mystérieux de l'histoire - la façon progressive dont Ford pèle son "oignon", dévoilant lentement ce qui se cache sous l'aparence des quatre promeneurs élégants, "tous des gens biens".
 
L'adaptation - fidèle au roman - a été écrite par le scénariste et dramaturge anglais Julian Mitchell. Le tournage a duré trois mois, en Angleterre et en Allemagne (prolongé à cause d'un conflit de travail à Granada TV impliquant le tournage de Jewel In The Crown - ce qui a également retardé notre programme).
 
J’avais récemment joué Robert Acton, un autre Américain réservé dans une production de Merchant Ivory d'après le roman d'Henry James, The Europeans. Peut-être que Kevin l'avait vu. Bien qu'il soit possible de jouer l'innocence de façon comique - trois mois, c'est long à passer avec John Dowell - quelqu'un de si aveuglément et si résolument déconnecté de la vérité.
Malgré sa proximité avec Francfort et le complexe de commandement d'Hitler, Bad Nauheim fut épargnée par les bombardements alliés, prétendument parce que le président Roosevelt gardait de bons souvenirs de sa visite.
Presque par définition, nous ne pouvions pas tourner le livre par séquences et Kevin nous a tous aidés à nous raccrocher à l'arc de chacun des récits compliqués et croisés de nos personnages. Il maîtrisait parfaitement "les pelures d'oignon" et nous lui en étions reconnaissants. Pourtant, tout en admirant son exigence et sa quête de perfection, nous avons trouvé pénible le côté interminable du tournage en "mannequin" d'époque.
 
La scène où les deux couples se rencontrent pour la première fois dans la salle à manger de l'hôtel, par exemple, a été filmée CINQUANTE-SEPT fois sous tous les angles imaginables ! Les figurants allemands du coin, au départ tout excités d'être dans un film, ont décidé à l'heure du déjeuner qu'ils ne voulaient jamais en faire un autre - même pas pour de l'argent comptant !
 
Le film est extraordinaire - brillamment tourné par Tony Pierce Roberts. Le rythme et le style évoquent si bien l’ère d’avant-guerre, bientôt anéantie et changée à jamais par le carnage à venir lancé le 4 août – le jour de l'anniversaire de Florence, le jour de celui de son mariage et le jour de son suicide. Rien d'une coïncidence !
De retour en Angleterre, le tournage est passé d'une "Grande Maison" à l'autre. Certaines ont conservé le charme fané de l'époque - celle d'une classe qui ressent le contrecoup, sinon précisément dans ses hautes sphères.
 
Dans l'une d'elles, il y a eu un dur rappel de la dévastation que la Première Guerre mondiale a causé en termes sociaux et humains. Le grand potager aux murs de briques était toujours visible, tout comme les magnifiques serres - mais délabrées et négligées depuis les années vingt - les hommes qui les avaient fait fleurir ont tous été abattus en France.
 
Quant il écrivit son livre en 1915 - il y a cent ans - Ford Madox Ford pressentait que c'était la fin d'une époque. Le monde d'Edward Ashburham - complaisant et arrogant - était condamné. Étrange que John Dowell, le "Quaker improbable" et le "Yankee occasionnel" soit tellement en admiration - et de ce fait l'ait rejoint.
Kevin a insisté qu'il n'y avait aucun risque. Je me suis retrouvé à l'arrière de la calèche demandant à haute voix s'il laisserait ses jeunes enfants faire la scène. "Oui - bien sûr," répondit-il. Je me suis précipité sur le quai et dans la salle d'attente où j'ai retiré mon costume. C'était la fin de la balade en calèche.
 
Peut-être qu'après des mois passés à être le modeste John Dowell, quelque chose de Robin Ellis devait se libérer à nouveau ! Vous pouvez regarder l'intégralité du film du Good Soldier sur YouTube maintenant !
Ford Madox Ford
Meredith admirait le film et connaissait Susan. J'y avais passé trois semaines intenses à l'automne 1980, la plupart du temps vêtu d'élégants costumes (ce qu'il nous semblait !), dans cette extraordinaire ville thermale édouardienne. Nous marchions et marchions, en file de quatre, parés des plus beaux atours d'avant-guerre sans - semblait-il - se soucier du monde.
 
Bad Nauheim est toujours une ville thermale, mais les magnifiques bâtiments des bains de Sprudelhof (construits entre 1905 et 1911 dans ce que les Allemands appellent le style Jugendstil) ne sont ouverts que pour des visites guidées spéciales - et malheureusement, il n'y en avait aucune pendant les jours où nous y étions.
 
Cependant, nous avons réussi à nous glisser dans l'un des pavillons thermaux, ouvert par le personnel d'entretien pour le nettoyage, et il était resté exactement le même qu'il y a 30 ans - en fait probablement comme il y a 100 ans.
 
D'élégantes cabines de douche bordent le couloir (où Florence faisait sa cure). Les jolies cours intérieures et les salles de réception sont décorées de coquillages, de mosaïques, de vitraux et de fer forgé - chaque agencement finement réalisé dans le style Art Nouveau.
Je suis le seul acteur survivant du quatuor au destin tragique de Ford Madox Ford - qui ai fait le film The Good Soldier il y a 35 ans. Jeremy Brett, Vickery Turner et Susan Fleetwood - tous sont morts trop jeunes. Susan n'avait que 51 ans ! Tous avaient encore tellement à donner.
 
Meredith [sa femme] et moi étions en Allemagne pour suivre un autre projet, mais en passant si près de Bad Nauheim en allant à Francfort, nous n'avons pas pu résister à faire un bref détour par l'autoroute.