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Eh bien, je pense que Watson représente le public. Je pense qu'il est en quelque sorte le récepteur de l'idée. Je crois que Watson est vraiment Monsieur Tout-le-monde et il faut se rappeler qu'il travaille avec, ou qu'il est associé à un génie.
 
Conan Doyle a écrit ces histoires extraordinaires. Je pense toujours que c'est en quelque sorte l'opposition entre le début de l'intérêt de tout le monde pour la science, conjugué à l'obsession Edwardienne pour le gothique. Et c'est le choc de ces deux choses, où Holmes représente l'esprit scientifique qui analyse et les gens le désir d'explications, qui je pense a peut-être finalement conduit Conan Doyle au spiritualisme - en voulant une sorte d'explication.
 
J'ai passé une partie de mon enfance à Hollywood avec mon père qui était sous contrat à la RKO et parmi ses amis très, très proches, il y avait Nigel Bruce, dont je me rappelle très bien. Un homme charmant, paternel, drôle. Très gentil avec les enfants. Je suppose que je devais avoir environ huit ans, et je me souviens de lui avec beaucoup d'affection. J'ignorais que les films étaient réalisés et cela n'aurait pas signifié grand chose pour moi à cet âge. Mais bien sûr, par la suite, ils sont devenus de grands héros ; lui et Rathbone.
 
Mon père, Cedric Hardwicke, a joué Holmes en, euh, je crois que c'était en 1945, avec Finley Currie qui jouait Watson, et c'était pour la BBC. Il n'a fait que celui-là, je crois que c'était "Le Ruban moucheté".
 
C'est mémorable, surtout en raison du fils de Conan Doyle qui a discuté avant l'enregistrement de la pièce définitive. Il parla de son père et se rappela, qu'étant au restaurant dans un hôtel à Edinburgh, son père identifiait les gens, tout comme le fait Holmes.
Je me souviens avoir sciemment pensé à chaque fois qu'il y avait une occasion de mettre en évidence ce sens de l'humour entre les deux personnages, le fait que vous pouviez sourire de certaines choses que dirait Holmes, ou rire à d'autres, euh, me paraissait essentiel. Il me semble que les gens qui travaillent ensemble dans un travail plutôt difficile ont tendance à rire beaucoup.
 
Il y avait un dossier merveilleux qui circulait, The Baker Street File, qui contenait, c'est à dire, chaque petit détail qui apparaissait dans les histoires. Et je me rappelle à un moment, je crois que je devais utiliser un stylo à plume et, euh, j'ai demandé, j'ai dit : "Cela semble très moderne." Ils ont répondu : "Non, non, ça ne l'est pas, c'est dans le dossier" et nous avons cherché, ça y était. Et je pense que quelqu'un l'a vraiment écrit et dit - fit quelques observations - et ils étaient capables de répondre et dire : "Non, ce n'est absolument pas exact."
 
Et c'était un document incroyable, je pense que je l'ai toujours quelque part. Euh, mais cela donnait la mesure de l'immense soin que Granada prenait avec les séries à cette époque, c'est à dire qu'il n'y avait absolument rien qui n'était pas étudié et examiné.
 
Ce n'est pas facile de faire une dramatique d'époque dans l'Angleterre moderne, je veux dire que vous avez des problèmes innombrables. La caméra a eu sans arrêt des problèmes avec les antennes de télévision. Et ils avaient le plus merveilleux groupe pour corriger les choses rapidement, par exemple je me souviens qu'à un moment nous tournions à Londres et il y avait des lignes jaunes sur la chaussée que vous pouviez voir par la fenêtre arrière de la calèche où Jeremy et moi étions assis. Donc, quelqu'un est venu et ils avaient un rouleau de pavés, comme une sorte de - et ils y sont allés *fshh !* comme ça.
La série dans son ensemble fut une époque extrêmement heureuse, hum, évidemment dominée par Jeremy, totalement dominée par lui. Euh, et le rire, plutôt d'énormes éclats de rire. Et dominée aussi par les endroits les plus merveilleux, je veux dire, nous avons filmé dans ces magnifiques et très belles maisons. Dont le Cheshire est absolument envahi, ce genre de merveilleuses folies du dix-neuvième siècle qui ont été construites par des hommes d'affaires et des commerçants et d'autres. Bien que, assez curieusement, la - euh - la plus importante je suppose, est Baskerville. Nous avons filmé dans une maison extraordinaire, en dehors de Stoke, que le régisseur des repérages a trouvée par hasard.
 
La série toute entière fut l'occasion d'énormément de plaisir. Deux merveilleux producteurs, Michael Cox et June Wyndham-Davies, qui connaissaient remarquablement bien les histoires. Une distribution de gens adorables, ces gens étaient ravis d'être de la partie, ils étaient fous de joie d'en être. Je me suis fait des amis pour la vie dont je vois fréquemment un certain nombre. Et, comme je dis, dominée par Jeremy ; extrêmement généreux, merveilleusement excentrique.
 
Mais c'était une époque très, très heureuse et il nous manque profondément et tristement. Je veux dire qu'il me manque, je le regrette - même si nous ne nous voyions pas beaucoup l'un l'autre notre travail fini, il avait l'habitude de me téléphoner en France et, euh, trouvait des blagues et il ne se souvenait jamais de la fin et devait raccrocher le téléphone et rappeller. Mais, euh, c'était un homme extraordinaire et c'est une grande perte et malheureusement, je trouve qu'il n'a pas été suffisamment récompensé pour ce qu'il a fait, il n'a pas obtenu de récompense pour son interprétation. Et on se souviendra de lui, j'en suis sûr, car je crois qu'il a été un Holmes extraordinaire.
Je pense que Michael Cox attendit délibérément pour "La Maison vide" jusqu'à, je pense, que nous formions un duo ensemble et nous sentions suffisamment à l'aise. Euh, je pense que "La Maison vide"  est assez délicate - euh - c'est difficile pour Holmes car il a cette espèce de déguisement extravagant et ensuite Watson s'évanouit et tout le reste, c'est donc un peu - c'est une histoire magnifique mais très difficile et j'étais vraiment bien content qu'elle soit retardée. Et, d'ici là, j'avais beaucoup - je me sentais beaucoup plus en confiance pour jouer Watson.
 
Eh bien, au moins au début de "La Maison vide" il y a Watson avec Lestrade et Holmes n'est pas là, vous avez donc une chance de mettre en place quelque chose avant l'apparition de  la star, pour ainsi dire. Et ainsi c'était bien d'avoir un peu cette chance de m'introduire avant.
 
La nourriture tient une part très importante dans les histoire et certainement que Watson aime la nourriture... Nous finissons par entrer dans l'auberge et commandons à manger, il y a un bol de soupe ou quelque chose comme ça, je ne me souviens pas exactement de ce que c'était, et l'un de mes moments préférés est quand Watson était, hum, Holmes lui demande: "Comment est-ce, Watson ? " (et Watson répond) "C'est dégoûtant, Holmes. " C'était simplement un moment comique très agréable que nous partagions et je me souviens d'un assez grand nombre de scènes à Baker Street où Holmes prend son petit déjeuner, ou quand ils commandent - euh, Watson mange beaucoup et pas Holmes, il picore.
 
L'un de mes films préférés est "L'Ecole du Prieuré" qui a été réalisé par John Madden, euh, je pense qu'il a fait un travail formidable. C'était un petit film et, euh, je ne veux pas dire que les autres ne l'étaient pas, mais il y avait quelque chose de particulièrement cinématographique dans ce qu'il en a fait. Je pense que c'est une très bonne histoire et l'adaptation, je me souviens avoir pensé, contrairement à certains, qu'elle était vraiment, si j'ose dire, qu'elle n'améliorait pas Conan Doyle, mais quand vous transposez du texte dans un médium visuel, je pense que vous devez prendre certaines libertés et je crois qu'ils l'ont fait et à mon avis tous d'une façon très positive. Et je me souviens - quand je l'ai vu, j'ai été très impressionné par la manière dont John Madden l'avait montée. Euh, euh, et la façon dont l'histoire avait été adaptée et elle est certainement l'une de mes favorites dans la série.
 
Nous filmions ceci - la séquence finale dans une caverne. Je ne sais pas où c'était, en fait je crois que c'était quelque part dans une tourbière. Mais c'était très dramatique et j'ai pensé que cela enrichissait l'histoire originale, si j'ose dire. Hum, et de nouveau John tira partie de l'endroit en le filmant très bien, c'était très excitant et très dramatique. Et je pense que c'est son mérite, absolument.
 
Jeremy était merveilleux. En fin de compte c'était un peu comme jouer au tennis avec un excellent partenaire, si vous parvenez à tenir la raquette à la bonne place, il va la frapper suffisamment fort pour que la balle soit renvoyée. Les gens m'ont questionné sur Jeremy et je n'ai aucune doute sur le fait d'estimer que c'était une formidable interprétation qui marchait bien, c'était superbe. Et il avait la capacité, je n'ai jamais compris comment il y parvenait, d'apporter une sorte de, une expression que j'ai utilisée, une touche d'interprétation Edwardienne sur le petit écran qui est, c'est à dire, de la télévision minimaliste.
 
Je crois que nous partagions un genre de sens de l'humour, hum, et il rendait ça très facile, il faisait des choses extraordinaires, hum, je me souviens qu'il avait l'habitude de se promener avec un de ces appareils jetables dans la poche de son costume et il prenait l'équipe en photo, les acteurs, n'importe quoi, et ensuite chaque semaine, il épinglait ces photos sur la porte du studio. Ainsi tout le monde venait immédiatement regarder pour voir s'il était dessus - les photos de Jeremy. Elles étaient toutes ... ce n'étaient pas des photographies de grande qualité, c'était juste des instantannés. Mais cela avait pour effet de créer une sensation de famille dans l'équipe et Jeremy la dirigeait, pas de doute là-dessus, il la dirigeait.
 
Il avait l'habitude de faire une ou deux choses très astucieuses. C'était un fumeur invétéré, ce qui n'arrangeait pas sa santé, et chaque matin sur le chemin du plateau, il achetait soixante cigarettes qu'il fumait durant la journée. Et nous tournions dans de nombreuses maisons du patrimoine historique où fumer est interdit. Alors Jeremy réussissait à y couper, parce qu'il y avait un nouveau réalisateur ou quelqu'un qui ne connaissait pas ses habitudes. Je savais sacrément bien ce qu'il faisait. Et il appelait le réalisateur pour dire : "Je pense, John, je pense que Holmes devrait fumer dans cette scène, c'est mon sentiment -" John disait : "Oh, eh bien, prenez une pipe." Jeremy répondait "Non, non, non, non. Cela exige une cigarette. " Ainsi, il fumait cigarette sur cigarette sur le plateau, bien que ce soit interdit pour tous les autres (il commence à rire) Jeremy fumait à l'écart. Et ils ne l'ont jamais pris sur le fait, il trouvait toujours un moyen d'y parvenir. Et il avait une écharpe noire, qu'il enroulait autour de sa tête ... il avait quelques habitudes très, très excentriques.
Dans les années soixante, j'ai été très heureux de rejoindre le National Theatre lorsque Laurence Olivier le dirigeait et c'était un peu une sorte d'âge d'or. Et malheureusement cela vous gâche tout le reste, car nous tous, qui étions dans cette compagnie, regardons maintenant en arrière en pensant : "Mon Dieu, comme nous avions de la chance." Et Jeremy appartenait à cette compagnie. C'était un très grand groupe d'acteurs, nous étions quelque chose comme quatre-vingt-dix, et nous étions divisés en deux troupes distinctes et Jeremy n'était pas - lui et moi étions dans des troupes différentes. Ainsi je n'ai jamais vraiment joué avec lui, même si je le voyais beaucoup au théâtre. Et, hum, il était bien plus un membre éminent de la compagnie, vraiment, il était très différent du Holmes que nous avons tous considéré comme une remarquable interprétation.
 
Oui, j'avais la chance de jouer un Shakespeare de la BBC, Titus Andronicus, avec Anna Calder-Marshall, qui est l'épouse de David Burke. Et un jour David a fait soudain irruption et dit : "Écoute, euh, je ne peux pas le faire - il se peut qu'ils fassent une autre série de Sherlock Homes", il dit, "Je ne peux pas le faire parce que j'ai accepté l'offre d'aller travailler à Stratford-on-Avon avec Anna. Nous voulons travailler ensemble et nous - cela signifie que nous pouvons avoir Tom", leur fils, "avec nous. Alors, je vais appeler Granada et parler avec Michael Cox et suggérer que, peut-être, tu pourrais être pris en considération. " J'ai alors dit :" Oh, c'est fantastique! " Et il a appelé Jeremy et c'est arrivé - c'est comme ça que ça s'est passé. David ne pouvait pas le faire, parce qu'il voulait aller à Stratford, et donc ça m'est tombé dessus.
 
Je les avais vues et je savais à quel point le niveau était extrêmement élevé. Mais en tant qu'acteur c'était passionnant qu'on me demande de le faire. Parce que nous savions que c'était bien. Et, euh, vous savez, je connaissais bien les histoires, pas autant que par la suite, mais je savais qu'il y avait, vous voyez, une possibilité d'en faire dix ou quinze autres. Et c'était très excitant.
 
"Le Manoir de l'Abbaye" fut la première à laquelle j'ai participé. Et un réalisateur, appelé Peter Hammond, qui en a ensuite fait beaucoup, euh, la réalisa et me donna quelques notes qui ont été très importantes pour moi en m'indiquant de nombreuses nuances dans la façon d'envisager le rôle. Et j'imagine que cela a été un choix délibéré, je crois qu'on pensait : "Il peut nous aider."  Il y avait une séquence dans "Le Manoir de l'Abbaye" où Holmes fait les cent pas, essayant de travailler ce truc et Hammond me dit, euh, "Je veux que vous fumiez". Et je répondis : "Oui, quoi ? Fumer quoi ?" Il dit : "Cigarettes, je veux que vous fumiez des cigarettes." Alors j'ai pris une cigarette et il a dit : "Non, non , non. Gardez la cigarette très près de votre visage, ne l'écartez pas trop". Et, cette explication ne signifiait vraiment pas grand-chose, mais dans le contexte de ce que nous faisions, cela m'a fait immédiatement penser : "Oui, cela suggère le temps et la concentration." Et en quelque sorte, cela a déclenché quelque chose au fond de ma tête qui m'a fait imaginer "Watson", je ne sais pas pourquoi et je ne pourrais pas vous l'expliquer aujourd'hui.
 
Mais je me souviens dire à Jeremy : "Je sens" - avant que cela arrive, je me rappelle lui dire - "J'ai l'impression de disparaître dans mon costume". Je sentais simplement que tout était trop écrasant et que Watson n'avait pas grand-chose à faire. Je me rappelle David [Burke] dire qu'il trouvait très difficile de devoir être très réactif sans avoir beaucoup de texte. Jeremy estima par la suite qu'il en avait un peu marre - et je trouve compréhensible qu'ayant d'énormes quantités de texte à apprendre, il essayait d'obtenir des scénaristes d'en donner un peu à Watson. Ainsi je récoltais quelques-unes de ce genre de bribes (il se met à rire) que Jeremy n'avait vraiment pas envie de faire.
 
Je me rappelle que le principal problème que j'ai eu, était de devoir toujours lire des choses dans les journaux. Et parce que je ne - je dois porter des lunettes pour lire et ne pouvais pas avec Watson - alors j'apprenais toujours d'immenses quantités d'informations, ce que je trouvais très fastidieux.
 
Le plus grand compliment que l'on m'ait fait, fut à plusieurs reprises, de m'appeler "David". Les gens disaient : "David, pouvez-vous bouger de cette façon ?" Et je pensais : "Eh bien, ça ne fait pas trop de vagues ici s'ils pensent que je suis David Burke." Je ne sais vraiment pas en quoi j'étais différent de David, je veux dire que nous étions différents. Par la suite j'ai lu que les gens disaient que je paraissais être un Watson plus âgé, plus grave. Cela m'a toujours un peu contrarié car je pensais - parce que j'étais convaincu en jouant Watson avec Holmes - que deux personnes qui travaillent ensemble dans ces conditions doivent avoir beaucoup d'humour, il doit y avoir beaucoup de rires.
Interview d'Edward Hardwicke du 26/08/2003 : "Elémentaire, Mon Cher Watson"